Entrevue à Radio-Canada, 12 octobre 2000
Plusieurs jeunes rêvent de gagner leur vie en s'amusant, tout comme ces joueurs de hockey. Notre héros, Guillaume Patry, a vu son rêve se réaliser. Il n'est peut-être pas joueur de hockey, mais il a son «manager», il parcourt les tournois à travers le monde et, lui aussi, signe des autographes. Bref, il gagne sa vie en s'adonnant à son jeu vidéo préféré.
Toujours relax les jeunes? Il ne faut pas se fier aux apparences. Ceux-ci se préparent à vivre de grandes émotions. Ils sont réunis à Toronto pour participer aux qualifications canadiennes des World Cyber Games, une compétition d'envergure internationale : les olympiques u jeu vidéo.
Parmi eux, Guillaume Patry de Beauport, en banlieue de Québec. À 18 ans, Guillaume a laissé derrière lui famille et études pour s'exiler en Corée. Installé là-bas depuis 8 mois, il gagne sa vie en jouant aux jeux de stratégie Starcraft.
-Je suis venu ici à Toronto pour me qualifier pour un très gros tournoi qui va avoir lieu bientôt en Corée. Ce tournoi-la va inclure 14 pays, les meilleurs joueurs de 14 pays à 4 jeux.
Tout a commencé il y a 2 ans quand Guillaume s'est découvert une passion pour Starcraft.
-J'ai joué peut-être 10 000 «games» dans ma vie.
Guillaume, alias «Insane» à l'époque, se hisse vite parmi les meilleurs joueurs au monde. En 98, il participe à son premier tournoi professionnel à San Francisco.
-Ça m'a rapporté 4900 $ avec un ordinateur qui vaut lui-même 5400 $. Ma mère est venue avec moi à San Francisco parce qu'il fallait qu'elle vienne, je ne suis pas majeur, je n'ai pas le droit de gagner autant d'argent.
C'était le début d'une grande aventure. Les préparatifs vont bon train à Toronto. La plupart des joueurs ont apporté leurs propres outils de travail, souris et clavier, question de de se sentir confortables.
-J'ai changé il y a 3 jours. Bien c'est le même modèle, c'est juste une nouvelle souris. Starcraft a connu beaucoup de succès un peu partout sur la planète, mais c'est en Corée que sa popularité atteint son maximum. Là-bas, le jeu est devenu le passe-temps national. 90 % des jeunes de mon âge en Corée adorent Starcraft. En Corée, un jeu qui vend bien, c'est 15 000 copies puis Starcraft a vendu un million de copies.
La popularité du jeu en Corée est telle, qu'elle a donné naissance à un véritable circuit professionnel : un phénomène unique au monde.
-Il y a 3 organisations qui font des ligues professionnelles si on peut dire. Tout le monde qui entre dans la ligue sont commandités ou sont «pro gamers», c'est-à-dire que c'est leur façon de gagner leur vie. C'est sûr qu'ici on est peut-être 5 qui sont au top niveau au Canada puis c'est tous des gars de Québec, mais en Corée, ils en ont au moins une centaine de joueurs qui sont à ce niveau-là.
Des oréens pour la plupart, mais aussi quelques exilés comme Guillaume.
-Ça a commencé il y a un an. Il y avait un très, très gros tournoi qui, encore là, invitait les meilleurs de tous les pays. Puis moi je suis allé là-bas, je suis arrivé deuxième. Donc, là, j'ai rencontré des personnes là-bas. Ils voulaient faire une équipe de joueurs étrangers. Donc, ils voulaient amener les meilleurs joueurs. Donc, moi je suis allé là-bas puis ils sont devenus mes «managers» puis c'est comme ça que j'ai commencé à vivre en Corée. Oui, j'ai un appartement à moi, j'ai une vie là-bas, mes amis et tout. Je sors là-bas, je veux dire, ma vie est rendue là-bas plus qu'ici là. C'est gros, il y a plein de monde, il y a plein de trafic, un peu sale, mais j'aime bien là-bas.
En Corée, les pros de Starcraft jouent devant des spectateurs et des caméras de télévision.
-Les tournois sont tous, ils passent tous a la télévision nationale. À tous les jours, on peut voir du Starcraft à la TV. La finale du dernier tournoi qui était diffusée à chaque semaine à la télévision, j'étais en finale. C'était 2 heures «live» et ça a atteint 22 % de cotes d'écoute.
-Si je gagnais, je me faisais 28 000 $; si je perdais, je me faisais 7000 $. En 2 heures, je jouais pour tout cet argent-là. J'étais stressé. Mes mains tremblaient comme ça.
-La télévision? Je commence à aimer ça. C'est facile là-bas. Je veux dire, le monde parle coréen, donc, ils posent des questions vraiment simples avec l'anglais qu'ils connaissent puis ils ne comprennent pas qu'est-ce que je réponds puis, après ça, ils mettent des sous-titres. (rires)
Jérôme Rioux à lui aussi visité la Corée pour jouer à Starcraft. Il est resté 5 mois.
-J'ai fini deuxième dans un tournoi, un tournoi télévisé qui avait vraiment beaucoup de cotes d'écoute puis c'est ça qui m'a fait décrocher mon contrat de sponsor aussi. Moi puis Guillaume, on était un puis 2. Les créateurs de tournois là-bas, bien le but ultime, c'est d'aller à la TV puis les joueurs aussi, c'est de passer à la TV dans le fond. Puis ça aussi, ç'a créé un marché de commanditaires puis ça, c'est vraiment le fun aussi pour nous autres.
-C'est bien le fun d'aller là-bas, mais il faut avoir un commanditaire pour survivre. C'est pas tout le monde qui peut se faire commanditer. C'est seulement vraiment les meilleurs. Le commanditaire pour un joueur professionnel, un joueur professionnel connu, mais moyen, c'est environ 3000 $ canadiens par mois. Donc, c'est très bien pour quelqu'un de notre âge.
-Ça permet de vivre là-bas?
-Oui. Jouer une partie, si c'est dans la même ville, si c'est dans Séoul, ça me donne environ 700 à 800 $, puis s'il faut que je change de ville, ça me donne 1400 $. À chaque fois que je fais une partie pour, admettons une grosse compagnie qui veut attirer les gens, je veux dire, je fais seulement jouer une partie là-bas. Que je perde ou que je gagne, ça n'a pas d'importance, ils me donnent un certain salaire et puis, si je fais un commercial à la télévision, ça demande pas beaucoup d'argent. Un tournoi, ça varie entre 5000 et 25 000 $. Présentement, j'ai pas de commanditaire. Mon contrat vient de finir là, mais j'ai quand même un salaire qui vient de mon «manager». Donc, c'est ça, ça va bien là. Le stress, il faut le gérer.
Comme les athlètes professionnels ici, les joueurs de Starcraft sont les vedettes en Corée.
-Il y a du monde qui me reconnaissent dans les rues.
-Ah! oui?
-Des autographes... Le monde me demande des autographes. Je pense que je vais jouer à des jeux toute ma vie, mais je vais sûrement avoir une job plus normale à un moment donné. J'ai pas encore d'idée. Ce que j'aimerais bien faire, c'est, maintenant mon idée maintenant c'est d'aller à l'école en business, me partir une business reliée aux jeux vidéo. C'est quand même un domaine que je commence à bien connaître, les tournois, les commanditaires et tout.
La relève semble déjà prête. Hugo «Killer» Gagnon 16 ans, a battu Guillaume en finale à Toronto, empochant 2000 $ et un billet d'avion pour la Corée.
-J'ai réussi à contrôler ma nervosité puis ça s'est bien passé, puis j'ai fini par gagner.
Le rêve coréen se perpétue quand les parents sont d'accord.
-Il va y avoir mes parents qui vont entrer en ligne de compte puis, différents facteurs, mais moi personnellement, j'espère que je vais y arriver.
-Mon père prend ça bien, il est bien fier et tout, mais ma mère, elle s'ennuie beaucoup.
-Toi, est-ce que tu t'ennuies?
-Bien, c'est sûr que les mères s'ennuient toujours plus que leur fils, mais... Je vais probablement m'installer là pour un an encore en plus des 6 mois que j'ai passés là-bas et puis après, je vais sûrement revenir ici puis avoir une vie normale. À moins que je me marie avec une Coréenne.